Déplacement en Tunisie : Journée 1

 

C’est depuis Sbeitla, où je suis arrivé hier soir, que je rédige ce premier billet. Sbeitla, c’est une ville de 30 000 habitants située à 35 km de Kasserine où la délégation se rendra tout à l’heure. Nous sommes là au coeur de la Tunisie pauvre, dans un gouvernorat qui tient une place particulière au sein de l’histoire récente du pays. Sidi Bouzid, Kasserine, c’est de là – des entrailles de la Tunisie profonde – que la révolution du Jasmin est partie. D’ailleurs, le gouverneur me disait pendant le dîner que la situation n’était pas encore calmée et qu’il attendait beaucoup des élections du 23 octobre pour stabiliser une situation sociale qui reste tendue.

Kasserine, c’est quand même à 4h30 de Tunis dont 188 km hors autoroute. Ce trajet, au fur et à mesure qu’il se déroule, permet de mieux comprendre cette Tunisie à deux faces. Tunis est la capitale, le moteur économique. Puis, plus on s’enfonce dans le sud-ouest, et plus s’affirme la dominante agricole et minière. Ce phosphate que l’on voit arraché à la montagne à ciel ouvert, la vigne qui court à Mornag, les oliveraies qui se déploient à perte de vue, et enfin, lorsque l’eau se fait plus rare, l’élevage ovin et caprin selon les modes ancestrales du pastoralisme. Le gouvernorat de Kasserine, c’est environ 450 000 habitants avec le plus modeste des PIB tunisiens. Il reste encore 30,4% de la population active dans l’agriculture tandis que seulement 23% de la population sont au travail. C’est cela qui explique que la révolution du Jasmin soit partie d’ici tout comme le fait que, dans cette pauvreté, le taux de scolarisation est de plus de 90% ! Il y a à Kasserine trois établissements d’enseignement supérieur.

J’ai pu mesurer hier pendant le dîner combien l’attente à notre égard était immense. Je conduis ici une délegation de 18 personnes, toutes choisies en fonction des thèmes de travail que nous aborderons aujourd’hui. En fin de journée, je signerai un protocole d’intention sur le développement d’une coopération décentralisée entre notre Région et le gouvernorat de Kasserine. Je retrouverai ensuite, tard dans la soirée, Michel Vauzelle à Tunis. Il y a ici de formidables atouts. Nous avons visité hier soir, à la nuit tombée, compte tenu de la longueur du trajet, le site archéologique de Sbeitla. Il s’agit d’une ville romaine construite en 89 avant JC et qui resta romaine jusqu’en 450 environ. Le site fait 10 hectares à ce jour mais l’argent manque pour poursuivre les fouilles. Ce lieu est très supérieur à Carthage, pourtant mondialement connue. Mais dans le cas présent, il faut savoir que 75% des vestiges romains de Tunisie sont dans le gouvernorat de Kasserine. Inutile de vous dire que la promotion d’un tourisme culturel sera l’un des sujets abordés ce jour. La Tunisie en a largement les moyens.

En fin de dictature, l’histoire s’accélère toujours !

C’est un jour particulièrement émouvant pour la démocratie dans le monde. Une des plus anciennes dictatures, la plus vieille, même, avec ses 42 ans, est en train de tomber. Les rebelles sont à Tripoli. La population de la ville se soulève, fraternise avec ses libérateurs sur la Place Verte, symbole du régime khadafiste. C’est la chute finale !

Ceci advient exactement dans les délais estimés par plusieurs hauts responsables marocains et tunisiens avec qui j’avais pu m’entretenir à ce propos. Ainsi, au mois de mai, et encore début juin, tous s’accordaient pour considérer, compte tenu de la situation sur le terrain, qu’un dénouement interviendrait à brève échéance. Déjà, à ce moment là, ils décrivaient une armée régulière à bout de souffle, livrée à l’anarchie, parce que coupée de son commandement central, les systèmes de transmission ayant été détruits par les Français et l’OTAN. Dès alors, des défections se multipliaient vers la Tunisie, les soldats déposant les armes avant de passer la frontière.

Il faut d’ailleurs souligner la solidarité du peuple tunisien qui a été exemplaire durant toute cette période.

Mais comme tous les dictateurs, Khadafi est un grand communicant. Aidé par quelques sursauts sporadiques de l’armée, il a fini par faire croire à l’opinion publique qu’il tenait encore la situation sous contrôle. Ce qui fait que beaucoup de monde est aujourd’hui surpris. Il a réussi à transformer une évidence en quelque chose d’inattendu, dans un délai si rapide.

Pourtant, il existe une constante : les dictateurs semblent, et là réside leur force principale, invulnérables, invincibles – on dit familièrement ‘indéboulonnables’ –  et ce, jusqu’à la toute fin de leur règne. Et dans les derniers jours, l’histoire s’accélère toujours.

Souvenez-vous de la fin de Ceaucescu en Roumanie, de celle de Millosevic en Serbie, de celle de Saddam Hussein en Irak, ou plus récemment, de celle de Ben Ali en Tunisie ou de Moubarak en Egypte. Le mouvement, implacable, fut le même.

De ce point de vue, Khadafi n’a pas échappé à la règle !